Sunnite? Chiite? Alaouite? Druze? Kharijite?

L’interrogation qui revient le plus souvent dans la compréhension de la religion musulmane est de savoir faire la différence entre le sunnisme et le chiisme. Lorsqu’on parle d’islam en Occident on parle le plus souvent du sunnisme, largement majoritaire (80% des musulmans) et plus présent en Europe et aux États-Unis que le chiisme. La branche du chiisme qui ne représente qu’environ 10% des musulmans (1,2 milliards) reste donc très peu connu et ce par les sunnites même.

Ce conflit millénaire qui a commencé peu de temps après la mort du prophète de l’islam a d’ailleurs depuis toujours été mineur sur la scène internationale, il n’a été mis au premier rang qu’après la victoire de l’Ayatollah Khomeiny et l’instauration de la République islamique d’Iran en 1979.

L’intervention des États-Unis et la fin du régime de Saddam Hussein en 2003 en bouleversant la politique interne du pays et l’équilibre géopolitique de la région a remis sur le tapis la réalité chiite régionale.

La question chiite et sunnite est toujours d’actualité aujourd’hui et continue d’avoir des répercutions de plus en plus sanglantes dans la région du Moyen-Orient. Que ce soit au Liban, en Syrie, en Irak, au Bahrein ou encore au Pakistan, les tensions n’ont jamais été aussi fortes entre ces deux populations qui, oubliant très souvent qu’elles partagent avant tout la même confession et aussi les mêmes territoires depuis des siècles, s’engagent dans des guerres fratricides.

Cette rivalité secrato-religieuse a toujours été utilisée par les gouvernants comme un moyen de diviser pour mieux régner, elle a notamment:

  • permis à Saddam Hussein (sunnite) de gouverner un pays majoritairement chiite
  • alimenté une guerre qui a durée 10 ans entre l’Iran et l’irak
  • entrainé une sanglante guerre civile en Irak depuis l’intervention américaine en 2003
  • permis aux Assad (père et fils, alaouites) d’être à la tête d’un pays majoritairement sunnite et de garder le contrôle sur le Liban grâce au Hezbollah
  • transformé la révolte syrienne contre le pouvoir en une guerre sainte qui oppose des sunnites et des chiites
  • permis aux pays du Golfe d’avoir le contrôle sur les chiites de la péninsule arabique en maintenant la monarchie sunnite des Khalifa au Bahrein (majoritairement chiite) les poussant jusqu’à intervenir violemment en 2011 à Manama à travers le Conseil de Coopération du Golfe pour étouffer le début des contestations populaires.
  • permis à la monarchie saoudienne de traiter les « quelques » 300 000 chiites au sud-est de son pays (essentiellement à al-Hassa, région pétrolière et gazière) comme des citoyens de seconde zone qui ne bénéficient ni du développement économique ni d’aucun des avantages que la monarchie rentière accorde à ses citoyens
Les pays musulmans
Carte selon la présence de sunnites (vert), de chiites (rouge) et Oman qui est officiellement Ibadite (S’apparente au Kharijisme)

Un peu d’histoire:

Pour démêlé tout cela, il est nécessaire de revenir en arrière jusqu’aux début de l’islam.

Nous sommes en 632, le prophète Mohamed tombe subitement malade et meurt peu de temps après sans laissé aucune indication quand à sa succession. Dès le début, les premiers musulmans sont en désaccord, les uns préfèrent un Calife (« successeur du prophète ») qui fasse partie de la famille du prophète, d’autres lui préfère le plus sage et donc le plus âgé. La question est réglée plus ou moins sans violence avec les califes Abou Bakr et Omar jusqu’à l’assassinat du 3ème calife Othman en 657 suite à un violent mouvement de révolte. Ali (gendre, cousin et « fils spirituel du prophète » qui semble pour certains être le légitime successeur depuis le tout début) devient 4ème calife mais sa légitimité reste très faible surtout de la part du clan Omeyyade de Othman.

C’est à partir de ce moment que les vrais problèmes commencent et que le conflit de succession se transforme en une scission fondamentale au sein de l’islam. C’est ce qu’appellent les musulmans la « grande discorde » (al-fitna al kubra) qui va déchirer la communauté à jamais.

Les chiites (de « Shiaat ali » = fraction ou parti de Ali) issus d’une opposition tout d’abord politique reconnaissant Ali comme le premier et le seul successeur du prophète vont au fur et à mesure former un groupe religieux autonome. Les sunnites quand à eux vont soutenir le clan Omeyyade auquel appartenait Othman et un de ses proches, Mouawiyya, qu’il avait nommé gouverneur de Damas pendant la période de son califat.

Une guerre éclate entre les partisans de Ali et le clan Omeyyade dirigé par Mouawiyya (soutenu pendant une courte durée par Aicha, la dernière femme du prophète). La guerre prend fin lorsque Ali en 661, ayant accepté la paix, est assassiné par un de ses partisans extrémistes qui considère l’acte de Ali comme une trahison à leur cause. C’est la naissance du Kharijisme, 3ème branche de l’Islam.

Au moment où Mouawiyya, 5ème calife, prend le pouvoir en fondant la première dynastie musulamne des Omeyyades, les musulmans sont déjà et resteront divisés en 3 branches:

  • Les sunnites: qui soutiennent Mouawiyya (fondateur de l’Empire Omeyyade)
  • Les chiites: qui soutiennent Ali, ses fils Hassan et Hussein et plus tard toute leur descendance
  • Les kharijites: qui soutenait Ali au début et qui se sont dit trahis par son armistice et qui sont contre le principe même de califat. Les kharijites proposent donc une 3ème lecture en considérant toute personne musulmane capable de devenir chef de la communauté. L’ibadisme, principale branche du kharijisme, est aujourd’hui présent comme religion officielle du sultanat d’Oman mais aussi chez les berbères d’Afrique du Nord (principalement dans l’île de Djerba en Tunisie, au Djebel Nefoussa dans la Tripolitaine en Libye et dans la vallée du Mzab en Algérie)
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Gharbaïa, capitale de la vallée du Mzab (Algérie), a été fondée par les ibadites au 10ème siècle et fait partie du patrimoine mondial de l’unesco

Une autre guerre va encore une fois opposer en 680 les sunnites (avec le fils de Mouawiyya, Yazid) et les chiites (Hussein, le fils de Ali et ses partisans). Elle va se solder par un vrai massacre de Hussein, ses troupes et sa famille à Karbala (non loin de Koufa en Irak) et marquer à jamais les esprits et les coeurs des chiites. Le massacre de Karbala va inauguré une culture très prononcée du martyr (qui avait déjà commencé par l’assassinat de Ali) et va faire du tombeau de Hussein (au même titre que celui de son père) un des principaux lieux saints chez les chiites.

C’est de cet épisode historique que va naitre la fête de Achoura qui a une importance capitale chez les chiites et qui commémore le massacre de Hussein. Beaucoup vont jusqu’à se flageller collectivement pour revivre les douleurs de leur 3ème imam Hussein (le premier étant Ali et le deuxième Hassan son autre fils qui avait dès le début renoncer aux armes). En Iran, ce théâtre à ciel ouvert qui rejoue le massacre de Karbala est appelé  » « tazieh » (témoignage de condoléances) : ils se frappent la poitrine en signe de contrition, allant même pour certains jusqu’à se flageller avec des lames pour que le sang purificateur recouvre le drap blanc revêtu pour l’occasion. Une exaltation religieuse symbolisant la résistance et le sacrifice, aux antipodes de l’orthodoxie sunnite, qui n’hésite pas à la qualifier d' »hérésie »  » *.

D’ailleurs cette culture du martyre ne va cessé de s’accentuer puisque les chiites vont être violemment réprimés par toutes les dynastie reignantes les poussant à plonger dans la clandestinité.

Petite anecdote: le prénom de Yazid est banni à jamais de toute la société chiite puisqu’il s’agit de l’assassin de l’imam-martyr Hussein.

Différence entre le sunnisme et le chiisme

La principale différence entre le sunnisme et le chiisme reste l’importance de l’interprétation ou l’effort d’interprétation (ijtihad) chez les chiites.

Ainsi, l’imam (descendant du prophète) est considéré comme un guide et le représentant temporel et spirituel choisi par Dieu et tirant leur autorité de lui alors que le chef de la communauté des sunnites reste (en principe) un homme ordinaire de n’importe quelle origine, choisi par tous les musulmans. Mais dans la réalité, il est clair que la majorité des dirigeants sunnites de la région tiennent ou ont tenu leur légitimité de leur descendance directe de la famille du prophète (le roi actuel du Maroc Mohamed VI par exemple ou encore le roi Abdallah II roi de Jordanie dont l’arrière-arrière-grand-père était le chérif Hussein de La Mecque qui a été encouragé par les anglais à se révolter contre les ottomans et auquel on avait envoyé Lawrence d’Arabie… mais ça c’est une autre histoire!)

Le chiisme a aussi un clergé très hiérarchisé, dans lequel on commence comme simple étudiant en religion (mollah, équivalent de ouléma chez les sunnites) et on gravi les échelons pour finir ayatollah (qui signifie « signe de Dieu ») et donc devenir LE référent. Chez les sunnites, il existe des jurisconsultes qui ont étudié la religion mais aucun ne peut, en principe, se considérer supérieur à un autre.

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Les 3 principaux ayatollahs du monde chiite: Khomeini (le fondateur de la République islamique d’Iran et Guide de la révolution de 1979), Khamenei (l’actuel référent en Iran) et Sistani (le référent Irakien)

Le culte des icônes des imams est très répandu chez les chiites alors qu’interdite chez les sunnites et représente une véritable industrie en Irak et en Iran.

Un exemple d'icône chiite: Hussein en haut à gauche et Ali en haut à droit et au milieu de la photo habillé en noir
Un exemple d’icône chiite: Hussein en haut à gauche et Ali en haut à droite et au milieu de la photo en noir

Aussi, les chiites se démarquent pour avoir légalisé le mariage temporaire (Zawaj Moutaa), condamné par plusieurs et même la majorité des Cheikhs sunnites qu’ils associent à la prostitution.

Divisions et branches du chiisme:

Les chiites duodécimains (majoritaires) reconnaissent 12 imams, dont le dernier Mohammed al-Mahdi s’est occulté à l’âge de 5 ans en 874 à Samarra dans Irak actuel, pour revenir à la fin des temps répandre la justice et juger les hommes. C’est le messie ou Mehdi al Mountadar (le Mehdi attendu)

    • Le chiisme duodécimain ou imamisme est religion d’État en Iran et il réunit la grande majorité des chiites d’Irak et du Liban.
    • L’alévisme Baktachi (présent en Turquie) se rattache essentiellement au chiisme duodécimain même s’il se distingue de l’islam dit « orthodoxe » par son non-dogmatisme et se dit plus de tradition soufie.

Les chiites ismaéliens, eux, reconnaissent l’existence de 7 imams dont le dernier est Ismaïl, le fils mort du sixième imam Jaafar.

    • Ils sont présents en Inde, au Pakistan et en Afrique de l’Est
    • La secte d’Alamut ou secte des Assassins était d’ailleurs ismaélienne
    • Leur principale branche dite nizarite a pour chef spirituel l’Aga khan. L’actuel Agha Khan est Karim Aga Khan IV, un milliardaire et homme d’affaires de 77 ans qui ressemble beaucoup plus à un jet-setteur américain qu’au 49ème imam à la tête de 10 millions d’ismaéliens
    • Il existe d’autres branches de l’ismaélime: mustalienne ou moustaaliyya, moubarakiyya, khattabiyya, qaramita ou qarmate, la branche des druzes (en Syrie et au Liban surtout sur les montagnes du Chouf) et la branche alaouite (ou nusairi à laquelle appartient la famille Assad)
    • Les alaouites et les druzes semblent partager la même tradition de garder secrets leurs rites, traditions et pensée. D’ailleurs, chez les druzes, on nait druze, on ne le devient pas…
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L’imam ismaélite Karim Agha Khan 4 et son épouse

Les chiites zaïdites reconnaissent 5 imams dont Zaïd est le dernier.

    • Ils sont présents principalement au Yémen

 


 

Pour aller plus loin:

  • Antoine Sfeir, L’Islam contre l’Islam – L’interminable guerre des sunnites et des chiites, Paris, Grasset, 2013.
  • Sabrina Mervin, Histoire de l’islam. Fondements et doctrines, Flammarion (Champs/Université), 2000, 2001, 311 p. Réédition mise à jour et augmentée,  janvier  2010.
  • François Thual, Géopolitique du Chiisme, Paris, Arléa, 1995.
  • Laurence Louër, Chiisme et politique au Moyen-Orient : Iran, Irak, Liban, monarchies du Golfe, Paris, Autrement, 2008.

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